Lettres ouvertes

  • La présente est pour faire écho à l’article paru vendredi dernier (6 octobre) sur l’implantation du service de consommation supervisé de la future Maison Benoit Labre dans le quartier Saint-Henri. 

    Devant les tollés de certains citoyens et de parents inquiets de voir s’installer un service d’inhalation et de consommation supervisé dans Saint-Henri, il est important de faire entendre la voix de ceux et celles qui sont touchés de près ou de loin par les méfaits réels reliés à l’utilisation de substances.  À titre de représentante francophone de Moms Stop the Harm, organisation qui regroupe et soutient des milliers de familles canadiennes impactées par la crise de toxicité des drogues, j’aimerais partager cet autre point de vue. 

    Le projet de la Maison Benoit Labre remplira plusieurs besoins essentiels chez nos concitoyens vulnérables : accès aux logements supervisés, à des ressources psycho-sociales, médicales, aide alimentaire, réinsertion sociale par des projets d’implication dans le quartier, etc.  Le projet permet de rejoindre une partie de la population qui serait autrement très difficile à rejoindre. « Pas dans ma cour! », je vous entends crier fort …mais alors dites-moi, si nos citoyens vulnérables ne peuvent être rejoints dans Saint-Henri, alors où et comment allons-nous pouvoir le faire? 

    La présence d’un service de consommation supervisé à l’intérieur de ses murs est le point de litige principal ici.  Mais ce que la population doit comprendre, c’est que ce service permettra la chose la plus importante d’entre toutes: sauver des vies.  C’est simple : en cas de surdose, une équipe d’intervenants et du personnel médical seront prêts à intervenir et ainsi préserver la vie de la personne.  Qu’arrive-t-il quand les gens n’ont pas accès à ce type de services?  Ils/elles s’isolent pour consommer et mettent leur vie en jeu advenant une surdose en n’ayant personne pour leur venir en aide. Précisons ici que c’est plus de 38 000 canadiens qui sont décédés par surdose entre 2016 et 2023, au rythme de 21 personnes par jour. Au Québec, c’est en moyenne deux personnes par jour qui perdent vie, et la crise est loin d’être endiguée, malgré tous les services disponibles au moment d’écrire ces lignes.  Imaginez un seul instant l’impact sur les familles et proches de ces gens qu’on n’a pu sauver…Ma fille fait malheureusement partie de ces tristes statistiques. Ma famille vit un deuil, partagé avec les membres de notre organisation qui eux aussi ont perdu un proche par surdose. C’est pour cette raison que nous militons si ardemment pour des changements, mais aussi, pour encourager l’acceptabilité sociale des services en réduction des méfaits. Nous posons cette question à tous ceux et celles qui s’opposent : « Et si c’était votre enfant? ».

    Car la source réelle de toutes ces pertes humaines se résume en fait par une seule chose : la stigmatisation.  On stigmatise les gens qui utilisent des substances, on stigmatise les gens souffrant de problèmes de santé mentale et qui se tournent vers les substances comme auto médicamentation, on stigmatise les gens qui sont en situation d’itinérance, on stigmatise sans chercher vraiment à comprendre la source réelle du problème et surtout, en ne tendant pas la main par peur de perdre une certaine sécurité ou un certain confort.  Selon moi, de fermer les yeux sur le problème ne fera que de l’amplifier. Peu importe la décision qui sera prise dans ce dossier, les gens vont continuer de consommer. On ne peut tout simplement pas détourner le regard et imaginer que le problème va disparaître de par lui-même…Il n’existe malheureusement pas de recette magique.

    En l’absence de service de consommation supervisé dans Saint-Henri, à quoi pourrions-nous être confrontés au juste?  À des gens qui consomment à l’extérieur, dans les parcs, dans les ruelles…trop souvent seuls.  C’est la réalité, et elle n’est pas près de changer, malheureusement. Le matériel de consommation souillé se retrouvera peut-être entre les mains de nos enfants qu’on tente de protéger de tout cœur, au lieu d’être récupéré de manière sécuritaire par le service de consommation. Et qu’adviendra-t-il du traumatisme engendré par la découverte d’une personne inconsciente, ou pire, décédée, dans une de nos ruelles ou dans un parc par nos citoyens?  

    J’interpelle tous ceux et celles qui s’opposent à l’ouverture du service de consommation supervisé de réfléchir à ces éléments.  Est-ce vraiment cela qu’on veut comme citoyens?  Ou voudrions-nous plutôt démontrer un exemple d’ouverture, d’acceptabilité, enseigner à nos enfants que nous sommes capables de faire preuve d’empathie envers ceux qui sont vulnérables? C’est là la plus belle leçon qu’on pourrait tirer de cette situation. Être de beaux et bons exemples pour les générations qui nous suivent.

    Les services qui seront offerts par la nouvelle Maison Benoit Labre permettent d’abord et avant tout à rejoindre les gens là où ils se retrouvent dans leurs cheminements individuels.  Ils permettront de créer des liens avec ces gens qui sont désaffiliés, qu’on ne rejoindrait pas ou très difficilement si les services n’existaient pas dans le quartier.  Ils feront la différence dans les vies de toutes ces personnes en leur offrant un endroit où ils seront accueillis sans jugement, avec empathie et amour. Ils seront accueillis par une équipe d’intervenants qui ont le bien-être et la santé de tous à cœur. Derrière chaque personne qui utilise des substances se cache un être humain avec ses rêves, ses passions, mais trop souvent aussi, ses traumatismes et ses histoires de vie difficiles. La vie de chaque être humain est importante. Sa sécurité l’est encore plus. N’agissons pas de manière égoïste en pensant que la nôtre a une valeur supérieure. C’est le message le plus important que j’aimerais transmettre aux citoyens de Saint-Henri. La stigmatisation tue, mettons-y fin une fois pour toutes afin de bâtir un avenir inclusif pour tous. 

    Isabelle Fortier

    Leader regional pour le Québec, Moms Stop the Harm